L’actualité porte sur le devant de la scène cet article qui retrace quelques grandes lignes du passé militaire russo- japonais. Le Japon est à l’unisson des Occidentaux, considérant l’agression russe sur l’Ukraine comme une violation du droit international, imposant également des sanctions. La Russie n’est pas un grand ami du Japon loin s’en faut, saviez-vous que le Japon est encore le seul pays à être officiellement en guerre avec l’ex-Union soviétique ? En effet, lors de l’effondrement du pays en 1945 les Russes en profitèrent pour déclarer la guerre, de sorte à récupérer quelques îles au nord de l’archipel qui appartenaient au pays du soleil levant. Le Japon a toujours contesté cela. Retour en arrière.
Premier acte. Un nouveau venu sur la scène internationale qui veut sa part.
Par le traité de Shimoda (1855) et de Saint Petersbourg (1875), les deux pays s’entendent sur le contrôle respectif des îles de Sakhaline pour la Russie et des Kouriles pour le Japon. Au début du XXème siècle l’empire tsariste opère un glissement vers l’est, la construction du Transmandchourien devant permettre aux Russes de raccourcir le trajet d’Irkoutsk à Vladivostok, qui inquiète les Japonais qui lorgnent vers les ressources minières de Mandchourie. La Russie obtient des Chinois en concession pour 25 ans la péninsule du Guandong et son port sur la mer du Japon, Port-Arthur, Ryojun en japonais, et y implante une base navale. Le Japon adresse alors un ultimatum à la Russie ; n’obtenant pas de réponse il attaque par surprise l’escadre navale le 8 février 1904 et déclare la guerre à la Russie dans la foulée. Port-Arthur encerclée capitule en janvier 1905. Fin mai les 45 navires de la flotte russe qui devait secourir Port-Arthur, sont envoyés par le fond lors de la bataille de Tsushima. Les combats ont été meurtriers, entre 130.000 et 180.000 morts, 320.000 blessés. Les Japonais reçoivent au traité de Portsmouth la péninsule du Guandong et la moitié sud de l’île de Sakhaline en-dessous du 50ème parallèle nord, les Russes conservant le nord, mais le Japon a toujours considéré cela insuffisant et que la victoire lui fut volée. La guerre russo-japonaise est la première défaite d’un peuple blanc devant un de couleur dans l’histoire et marque un nouveau rapport de force en Asie, auquel la France a contribué indirectement par la modernisation des arsenaux navals, sous la houlette de deux grands ingénieurs navals français détachés par le gouvernement, Léonce Verny et Louis-Emile Bertin.
Second acte. L’honneur blessé du Japon.
Au cours de la 1ère guerre mondiale le Japon prend le parti de la Triple Entente (France – Grande-Bretagne – Russie) par pur opportunisme afin de revendiquer un rôle géopolitique en extrême-Orient à la fin de la guerre mais refusera d’envoyer des troupes en Europe en 1918 à la demande de la France lorsque celle-ci était en difficulté suite au rapatriement de divisions allemandes du front russe en 1917. Au contraire, après avoir longtemps hésité, le Japon débarqua subitement à Vladivostock pendant la Révolution russe, et finit par occuper toute la Sibérie orientale jusqu’au lac Baïkal l’été 1918. Bien qu’étant dans le camp des vainqueurs, le traité de Versailles de 1919 ne leur accordera rien, ni le principe de l’égalité des races. Le Japon avait appelé « à accorder à tous les ressortissants étrangers d’un Etat membre de la Société des Nations un juste et égal traitement dans tous les domaines et de ne faire aucune distinction dans leur législation comme dans les faits sous prétexte de race ou de nationalité ». Le texte se heurta à une opposition frontale de la Grande-Bretagne et de l’Australie. La France soutint en revanche la proposition japonaise. Elle fut finalement adoptée par onze voix sur dix-sept, mais le président américain fit valoir que cette proposition touchant à une question de principe requérait l’unanimité : elle fut donc rejetée malgré le vote positif. Le représentant du Japon déclara que l’honneur du Japon avait été blessé. Le rejet de sa proposition fut ressenti comme une désillusion générale à l’égard du club fermé des puissances coloniales.
Troisième acte en 1945.
Pendant la seconde guerre mondiale le Japon sera dans le mauvais camp mais jusqu’à la capitulation allemande, sous un pacte de neutralité avec l’Union soviétique. La guerre soviéto-japonaise ne démarre que le 9 août 1945, après la bombe atomique et la reddition du Japon aux Etats-Unis. Les Soviétiques rejettent les Japonais de Mandchourie, de l’île de Sakhaline, puis re-conquièrent les Kouriles. Le Traité de San Franciso de 1951 stipulera que le Japon renonce à tous droits, titres et revendications sur ces îles, mais ne reconnaît pas non plus la souveraineté de l’Union soviétique… Le Japon allègue qu’au moins une partie des îles en litige ne font pas partie des Kouriles et donc ne sont pas couvertes par le traité, tandis que la Russie soutient que la souveraineté de l’Union soviétique sur les îles a été reconnue par les Alliés dans leurs accords de la fin de la Seconde Guerre mondiale, notamment le Protocole de Yalta de 1945. Toutefois, le Japon conteste cette affirmation par un argument d’antériorité et il est vrai que Yalta n’est pas un traité de paix.
Tokyo et Moscou avaient négocié ces dernières années afin d’établir des activités économiques conjointes sur les îles contestées mais en représailles aux sanctions la Russie vient de déclarer le 10 mars dernier toutes les îles contestées “zone franche”, soulevant l’ire des Japonais. Le conflit à propos des Kouriles méridionales mène régulièrement à des provocations de part et d’autre ; en 2008 les Japonais ont changé leurs manuels scolaires pour enseigner leur souveraineté, ce qui mena à l’indignation en Russie. Vous vous souvenez de l’épisode de l’achat des deux navires Mistral à la France, vente annulée par la France à la suite de l’invasion de la Crimée en 2015 ; ceux-ci avaient été prévus pour renforcer la défense des Kouriles. Le aux îles Kouriles le gouvernement russe officialisait l’augmentation du plateau continental russe en mer d’Okhotsk, ce qui agrandit de facto le territoire russe de 50000 km2.
Les deux pays sont donc toujours en situation de guerre larvée.
Complément. L’article était à peine publié depuis 3 jours que la Russie a décidé de stopper les “négociations de paix” en cours.