Publié le

Le Japon et le “moi”.

On repasse sur une post plus philosophique en cette période pré-électorale où on nous abreuve de “Moi, je”, “Je veux”, “Je vais faire” insoutenables, car on n’entend jamais le “nous” de l’adhésion à ce discours qui nous enfume et dont on sait pertinemment qu’il n’engage que celui qui le prononce.

Au Japon il y a énormément de “Je” à la signification différente. “Je pense, donc je suis” disait Descartes. Le moi pensant au centre de l’être-là, intangible. Or au Japon, manque une définition absolue du “Je”.  Les Japonais se sentent partie de la nature et s’y adaptent, comme l’eau dans un jardin japonais. Le “Je” du locuteur dépend et de l’endroit et de la situation dans laquelle il se trouve. Voici 2 exemples pour en comprendre le sens.

1°) Le matin au petit-déjeuner, la femme au mari : “Ohayo, otosan nani taberu ?” “Bonjour, que veux tu (littéralement que veux le père) manger ?” Le mari lui répond : “Ore pan de ii” = Un pain me suffit, puis propose son aide à son fils qui a du mal à couper le poisson avec les baguettes : “Otosan ni kashite goran” = laisse moi faire. Si le mari propose de faire un détour pour conduire son fils à l’école, “Watashi ga desu ka ?” ce qui signifie “dois-je te conduire ?” celui-ci le remercie, il rétorque “Tondemo nai, jibun ga unten ga sukina dake de” = “Cela ne me fait rien, j’aime rouler”.  En un tourne-main le mari emploie 4 “Je” différents : ore, un ego très viril en temps que chef de famille, otosan = moi en tant que père, watashi, un moi poli, qui s’imposerait aussi du fils vers le père, qui est le pronom le plus employé, et jibun (le moi brut). Il se serait adressé à un étranger ou dans le cadre de son travail, il aurait employé  le terme Watakushi, un “je” très poli. “Je” en fonction de la personne à laquelle on s’adresse donc.

2°) Une famille au restaurant avec un invité, 4 imprécations. “Ore, una-don“, “je commande le ragoût de riz avec anguille”. “Ja, watashi oako-don“, “je prends aux oeufs et poulet”. “Boku, kare raisu“. “Pour moi ce sera au riz-curry”. “Jibun wa katsudon ni shimasu” = “Je prends le ragoût avec une escalope panée”. Le serveur reconnaît les différents interlocuteurs à leur emploi du “je”: le père commande avec l’anguille, la mère avec le poulet, le fils le curry et l’invité, l’escalope en sus !

Toutes les formes de “Je” :

Boku : jeune, masculin, ne s’utilise qu’entre amis dans des situations informelles. Washi : vieux, masculin, lorsqu’un aîné s’adresse à un jeune, ou quelqu’un d’expérimenté à un novice. Watashi : normal, poli. Watakushi : très poli, respectueux. Atashi est exclusivement féminin. Atakushi : féminin, arrogant, condescendant (notez qu’employé hors contexte le pendant masculin, Watakushi, peut aussi être interprété comme arrogant). Wagahai : masculin, arrogant. Uchi : féminin, dialecte du Kansaï. Oidon : masculin, parler du Kyushu. Oira : brut, masculin idem Ore. A l’écrit on préconise shosei. Warawa est féminin, pour les femmes d’extraction noble. Il y a même des “je” apparentés à un métier. Honkan : un policier, juge ou fonctionnaire. Achiki : une courtisane. Soregashi ou sèsshas pour un samouraï. Jibun : soldat. Toshoku : notaire ou avocat. Par-dessus tout : chin, réservé à l’empereur…

Vous voulez vous mettre au japonais. Bon courage !

Pour clore sur le chapitre du “Moi,je” rappelons que le “non” est quasiment absent de la langue, on emploiera plutôt le très radical “c’est parfait (kekkô dèss)” qui signifie : non, merci ! ou kan’gaétéokimass (je vais y réfléchir). Humbles ils sont.