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La philosophie japonaise à travers le couteau

L’Âme des Objets : La Philosophie Japonaise à Travers le Couteau

Dans la culture japonaise, il existe une croyance profonde selon laquelle les objets ont une âme. On veut dire par là, qu’ils s’imprègnent de l’âme de la personne qui l’a fabriquée. Cette approche créatrice influencée par le shintoïsme et le bouddhisme, est particulièrement présente dans l’artisanat traditionnel. Parmi les objets les plus respectés, le couteau japonais occupe une place centrale. Forgé avec soin, transmis de génération en génération, il est bien plus qu’un simple outil de cuisine : il est considéré comme un être porteur d’esprit, de savoir-faire et d’héritage

1. Le Shintoïsme et la Croyance en l’Âme des Objets

Le shintoïsme, religion ancestrale du Japon, repose sur la vénération des kami (divinités ou esprits), qui peuvent résider dans la nature, les animaux, et même les objets. Selon cette philosophie, un objet façonné avec soin, utilisé avec respect et transmis à travers le temps peut développer une essence spirituelle. Les kamis étant également présents dans le bois, on ne transperce pas le bois. C’est la philosophie sur laquelle sont bâties les séries Haiku.

Les artisans japonais, qu’ils soient forgerons, potiers ou ébénistes, conçoivent leurs créations avec cette idée en tête. Pour eux, chaque objet possède une histoire et une énergie propre, ce qui renforce l’importance du respect et de l’entretien des outils au quotidien. 

2. Le Couteau Japonais : Plus qu’un Outil, une Âme Vivante

Dans le monde de la coutellerie japonaise, un couteau n’est pas un simple instrument de coupe. Il est considéré comme une extension du chef, un objet qui porte en lui l’esprit de son artisan et qui doit être manipulé avec soin et humilité. 

– Un héritage ancestral : chaque couteau japonais est le fruit d’un savoir-faire issu des forges de sabres des samouraïs. Comme un katana, il est forgé avec précision et dévouement, ce qui lui confère une identité unique.

– Un respect profond : un bon couteau ne doit jamais être utilisé à mauvais escient. Au Japon, il est impensable d’utiliser un couteau de cuisine pour un usage inapproprié, car cela reviendrait à manquer de respect à toute la chaîne productrice 

– Un entretien sacré : aiguiser un couteau, c’est honorer son âme. L’affûtage sur pierre est un rituel important où chaque mouvement respecte l’esprit du couteau en prolongeant sa durée de vie. Un couteau mal entretenu est considéré comme malheureux, et un couteau endommagé doit être traité avec dignité.

Masahiro Sashimi

3. Rituel et Transmission : Le Culte du Couteau au Japon

Dans certaines cuisines japonaises, des rituels spécifiques sont pratiqués en l’honneur des couteaux. L’un des plus célèbres est le Hocho Shiki, une cérémonie qui se déroule dans certains temples et sanctuaires.

– Le Hocho Shiki : Ce rituel ancien met en scène un maître cuisinier qui découpe des poissons ou d’autres ingrédients sans jamais les toucher avec ses mains. Cette démonstration de précision et de respect vise à honorer la lame et l’héritage des forgerons qui l’ont créée.

Dans la tradition japonaise, il est aussi courant qu’un couteau soit transmis de génération en génération. Recevoir un couteau de cuisine familial est un honneur, car il symbolise le lien entre le passé et le futur, entre le savoir-faire des anciens et les nouvelles générations. Faisons remarquer aussi que recevoir un invité, c’est lui faire honneur en coupant les mets qu’on lui présente (les mandolines sont proscrites). 

4. Mourir avec Dignité : La Fin de Vie d’un Couteau Japonais

Lorsqu’un couteau japonais devient inutilisable, il ne doit pas être simplement jeté. Certains artisans et chefs pratiquent un rituel de retraite pour leur lame les ayant si bien servie, jusqu’à l’amener à un temple shinto pour qu’elle soit bénie avant d’être rangée ou enterrée avec soin.

Cette pratique rappelle que chaque objet, même inanimé, mérite une fin digne. Cela rejoint également la notion japonaise de Mottainai (もったいない), qui exprime le regret face au gaspillage et encourage le respect des choses qui nous entourent.

5. Une Philosophie Vivante dans le Monde Moderne

Aujourd’hui, cette vision des objets imprégnés d’âme continue d’influencer les artisans japonais et ceux qui utilisent leurs créations. De nombreux chefs à travers le monde adoptent cette approche en traitant leurs couteaux avec le même respect et la même attention que les maîtres japonais, comme le chef Thierry Marx. 

Cette philosophie nous invite à voir nos outils du quotidien autrement : et si, au lieu de simples objets, nous les considérions comme des compagnons de route, témoins de notre savoir-faire et de notre histoire ?

Le couteau japonais n’est pas seulement un outil de coupe, il est un lien entre l’artisan, le chef et la tradition, une preuve vivante du respect que les Japonais portent aux objets.

Masahiro Sashimi