Une sélection qui trompe le client
Faut-il encore s’en émouvoir, dans un article paru sur Marmiton le 16 décembre 2018, une certaine Mélodie Capronnier joue aux expertes et s’y brûle (coupe) les doigts. Dans un texte intitulé “Notre sélection de couteaux japonais” la journaliste ? pigiste ? blogueuse ? nous livre une sélection de couteaux “japonais” : www.marmiton.org/shopping/notre-selection-de-couteaux-japonais-s2976768.html
Pour commencer, une photo en page de garde d’un couteau chinois lambda. Sans marque (voir ci-dessus). Cela commence très fort. Ensuite, on s’aperçoit très rapidement qu’elle est allée chercher vite fait quelques exemples sur Amazon. Site vers lequel on envoie un lien à chaque fois pour encaisser des Ads lors de chaque clic (bien sûr, le reportage n’est pas gratuit, il faut que cela rapporte à Marmiton). Et quelle sélection ! On retrouve les super basiques couteaux Sekiryu, une marque commerciale cantonnée dans le bas de gamme, qu’elle qualifie de très tranchant (c’est du 0,4 % de carbone – 52° HRC pour les connaisseurs, n’exagérons rien). La société Kaï (dont on ne peut pas dire non plus qu’elle brille dans des tests autrement plus sérieux sans visée commerçante) et les “marques” suivantes qui n’existent que sur Amazon le temps d’épuiser leurs séries créées pour l’occasion : ShanZu, Kitchen Emperor (déjà le nom aurait dû mettre la puce à l’oreille), Makami, Pirge. Et il faut vraiment ne rien y connaître au couteau pour oser marquer sous Kitchen Emperor : “La lame de ce couteau japonais est en acier carbone allemand de grande qualité, qui résiste au froid et à la chaleur et qui ne tache pas“. Connaît pas de fabricant japonais qui utiliserait un acier allemand pour ses couteaux puisque c’est justement leurs aciers qui sont recherchés. Quand au “ne tache pas”, en voilà une considération. Un peu de rigueur, les journalistes.
NE TOMBEZ PAS DANS LE PANNEAU
Il y a assez de marques japonaises sérieuses pour faire son choix or il ne se passe pas une semaine sans qu’un nouveau vendeur n’apparaisse avec des faux couteaux japonais. Un exemple cette semaine avec solutionpratique.fr qui s’intitule “importateur de couteaux japonais”. Toute la panoplie du faux y est :
SET JAPONAIS PRESTIGE CHEF en titre
Ensuite, défilement de clichés : “Nos couteaux sont fabriqués et affûtés à la main dans la plus pure tradition Japonaise” (ça ne mange pas de pain), “Devenus très tendances, les couteaux issus de l’art et de la tradition Japonaise sont également très prisés pour la qualité unique de leur lame“. Notez bien “issus de l’art et de la tradition japonaise“, on tourne autour du pot. Le désormais à toutes les sauces “Finitions dîtes KATANA” (dîtes donc) et au passage, “lame forgée en acier inoxydable et enrichie en carbone” (c’est l’inverse). “Lame de très haute qualité dans le style damas” (= faux damas). Remise 70 %… Bien sûr… – 70 % sur un artisanat de haute volée où l’offre est inférieure à la demande, quoi de plus normal. On a ici toute la panoplie de ce qu’il ne faut pas gober. Au passage, un couteau s’intitule “couteau d’office MYABI” (c’est une marque) ; on est dans la même veine usurpatrice que pour Kurouchi.
A l’instant où on écrit ces lignes voilà encore un signalement d’un internaute attentif : https://waikudo.fr/. Le quidam qui tient le site affirme “L’excellence à la japonaise. Spécialiste de l’acier de Damas japonais depuis 8 ans, Waikudo fabrique des couteaux d’excellences pour les amoureux de la cuisine comme vous” ; un bref tour sur société.com montre que la société a été créée le 15-06-2017 et fermée le 01-09-2019. Bien sûr. Notons l’acier de Damas (en Syrie) du soi-disant fabricant Waikudo, qui n’existe pas. Le site pousse l’outrecuidance jusqu’à dénommer une de ses séries Sakaï, du nom de la capitale de la coutellerie japonaise.
Remarquez que loin de nous d’affirmer que le couteau japonais, c’est bien et le chinois, mauvais. Il y a aussi de mauvais japonais ! Cas typique des VG10, l’acier n’est pas tout, il faut aussi qu’il soit docile à la pierre à affûter et cela c’est tout un art. Le petit-fils d’Elvis Presley ressemble comme deux gouttes d’eau à Elvis Presley, cela ne veut pas dire qu’il chante comme lui. Le made in China peut très bien convenir car ils ont fait de sacrés progrès en 20 ans mais il y a des différences marquées quand il s’agit de couteaux développés pour un temps court, les vraies marques ne peuvent pas se permettre cela, elles, elles doivent durer sur des décennies.
Le mot de la fin
Ce qui dérange est la cupidité des vendeurs qui pensent pouvoir faire une remise sur un prix brut fictif car le made in Japan a meilleure aura. Rajoutons y une garantie à vie que personne n’hononera bien sûr. Nous citerons cette anecdote. Après-guerre c’est l’industrie coutelière britannique qui a insisté pour marquer les produits importés made in Germany. On sortait de la guerre et la décision portait encore des relents revanchards. Or la coutellerie de Solingen était depuis très longtemps supérieure à l’anglaise, essentiellement connue pour ses scies. Et depuis fort longtemps. A l’endroit où loge Chroma France se situait au XIXème siècle l’atelier d’affûtage d’une société leader de l’outillage, la société Goldenberg. Gustave Goldenberg est un industriel local d’origine allemande visionnaire dont l’usine, qui compta plus de 1200 employés, était située dans le prolongement de cet atelier. Déjà en 1834 Goldenberg allait débaucher les meilleurs ouvriers à Solingen, n’en trouvant pas en France. Or que se passa-t-il après-guerre en Angleterre ? Le made in Germany s’imposa ! Les dernières coutelleries anglaises fermeront dans les années 1980. C’est la qualité qui compte, pas la provenance. Les bons produits chinois, ou français, n’auront pas honte de leur origine si le fabricant est convaincu de la qualité de son produit.