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Couteau comme cadeau ?

Un équipement utile

Tous les Noël on nous pose la question eu égard à la superstition qui règne dans ce domaine. Depuis les temps les plus reculés, le couteau a une symbolique particulière. Ne recommande-t-on pas de ne jamais croiser des couteaux à table, à mettre en perspective avec « croiser le fer avec l’ennemi » qui est resté dans le langage populaire.
 
C’est un peu notre vendredi 13 à nous couteliers. Lequel est également une superstition qui vient de loin et qui a donné le « jamais 13 à table ». Le vendredi dans la Bible, c’est le jour ou Adam et Eve sont chassés du Paradis, que Caïn tue son frère Abel. C’est le jour du Déluge et de la mort du Christ. Mais les nombres sont « nationaux ». Chez nous le 13, en Italie le 17, au Japon le 4 signe de la mort (on n’y fête jamais l’entrée dans la quarantaine).
 
On dit aussi que lorsqu’on offre un couteau on doit rendre une pièce. Les Vikings croyaient que le don d’un couteau pouvait être insultant parce que le destinataire n’était pas capable de s’en acheter un assez bon. Pour éviter de tomber dans une telle perception, ils simulaient la vente du couteau en joignant une petite pièce. Autre origine : dans la mythologie grecque le Dieu Hephraistos à qui on aurait commandé une épée sans jamais la payer demanda à compter de ce jour paiement en avance (cela fonctionne effectivement encore ainsi quand des clients mauvais payeurs se font tirer l’oreille et bien sûr quand on achète des couteaux au Japon..). Ou en cas d’achat sur Internet où le commerçant est payé avant de livrer la marchandise ! Notons qu’au Japon on n’envoie pas. On le remet en mains propres et on offre et réceptionne des deux mains. Du coup la symbolique est limpide, les deux mains sont occupées, pas de main libre pouvant laisser croire à un geste mi-contraint.
 
Cette influence attribuée aux couteaux remonte au Moyen-Age. Le don d’un couteau y avait une signification différente. A la fois marque de sainteté des transactions, l’appoint d’une concession faite par le seigneur au vassal et la reconnaissance d’un droit restitué à ceux qu’on en avait privé. Dans l’un ou l’autre de ces cas, le couteau ou l’épée se déposait solennellement sur l’autel, manche en premier. La féodalité était à cheval sur les principes. Au Haut Moyen-Age le vassal offrait à son seigneur le don de son épée. Signifiant ainsi qu’il rejoindrait l’ost une fois convoqué, le seigneur le rétribuait en échange pour les 40 jours de service que durait l’ost. C’est donc un signe d’allégeance au Moyen-Age et de paix de nos jours. En novembre dernier le premier ministre Edouard Philippe (lui-même grand connaisseur, ancien officier d’artillerie) remettait symboliquement un sabre au président sénégalais pour sceller l’amitié entre les deux pays et faire table rase du passé colonial. Notons qu’il est resté quelque chose de cette contraction d’alliances passée : lorsque les jeunes mariés coupent ensemble la première part du gâteau de mariage. L’acte de couper matérialise leur union.
 
Rendre une pièce est donc le résidu d’un geste dont les racines sont différentes. Dans de nombreux pays, en Scandinavie, et au Japon (paradoxalement les pays les mieux équipés en couteaux de valeur) offrir un couteau est un signe de respect ; les apprentis se voient offrir un couteau de leur patron lorsqu’ils quittent l’établissement et il arrive à ce que les maris en confectionnent un pour leur bien-aimée le jour du mariage. Un Japonais s’offusquerait si on lui rendait une pièce. Nous appelons de nos voeux la remise de couteaux quand un restaurant accueille son nouvel apprenti, ce serait un encouragement car ceux-ci doivent s’équiper eux-mêmes pour leur travail.