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Plaidoyer pour pierres à aiguiser

Un résultat garanti

Petit rappel. La coutellerie logiquement devrait se borner à l’utilisation d’aciers durs (0,4 à 0,8 % de carbone) ou extra-durs (de 0,8 % à 1,3 %) à mise en forme définitive, les aciers inférieurs étant eux destinés à des produits plus malléables pour être ré-usinés à froid. Mais au XXème siècle, sous la pression de nouvelles formes de consommation (lave-vaisselle) et de commerce (grandes surfaces), le marché du couteau en Occident s’est scindé en deux parties bien distinctes :

– les grandes coulées industrielles européennes contenant jusqu’à 0,5% de carbone
– les aciers japonais plus précieux à partir de 0,6%
Les premiers, en particulier les aciers mineurs qui n’étaient pas conçus pour des outils de coupe, ont dégradé notre rapport ancien au couteau. Un chiffre qui donne la mesure de la chose : la totalité de la grande distribution et hélas la majorité des écoles hôtelières est aujourd’hui équipée en aciers conçus au départ pour des serrures ou poignées de portes ! Au fur et à mesure, la qualité des couteaux se dégradant, il fallut y adjoindre des instruments “réparateurs” permettant d’allonger le cycle de longévité, exemple du fusil ou des aiguiseurs électriques, qui menèrent à une impasse, car détériorant le fil. Remémorons-nous les gestes oubliés du barbier qui apprenait à l’école comment aiguiser ses instruments sur une pierre et du cuir, ou du paysan qui affûtait ses couteaux sur les marches d’un escalier en pierre ou le revers d’une assiette non vernie, nulle trace d’expédients. Aujourd’hui grâce au travail pionnier de Chroma France, on redécouvre les vertus de la pierre à aiguiser. Car finalement seule la pierre convient à cette opération, pour diverses raisons : planéité (repère longitudinal), grain identifié, facilité de mise en oeuvre. Le pendant du concept de Chroma France, une grande variété d’aciers de qualité supérieure, est de pouvoir entretenir le tranchant de son couteau à vie.

Aiguisage à la pierre, les grandes lignes.

Dans la philosophie japonaise, la bonne pratique c’est un aiguisage préventif sur pierre à aiguiser en mode “Do it yourself”. Acier de bonne tenue (ne nécessitant pas d’enlever de la matière pour rendre la lame à nouveau tranchante) et entretien régulier se conjuguent pour éviter le passage chez l’affûteur, un métier en perdition. Pour ce faire on choisira un grain de #800 ou #1000 (peu de différences entre les deux, il y a des bons #800 et des mauvais #1000). Pour aller plus loin, cas des aciers supérieurs 0,8 % de carbone il est conseillé de finir l’affilage avec un grain de #3000 pour un tranchant digne, mais ce n’est pas une obligation. Il serait logique de se caler à minima sur l’aiguisage qui a été réalisé à l’origine, mais les fabricants ne communiquent pas là-dessus. Lorsque ceux-ci ne commercialisent pas de pierre adaptée (généralement au nom de la série), optez pour le grain mieux-disant. En règle générale les produits jusque 0,6 % sont aiguisés avec une granulométrie #800, à partir de 0,7 % avec des pierres #1000, mais cela dépend des fournisseurs. Cas particulier de Kasumi Masterpiece : cette série spéciale est aiguisée en usine avec une pierre #3000. Il serait dommage de ne pas continuer l’entretien avec cette finesse. Une pierre combinée 3000/8000 est ici indiquée. Pour des couteaux encore plus carburés nous recommandons de compléter avec la pierre Kasumi ready to sharpen 5000/10000 ne nécessitant pas d’humidification au préalable. L’aiguisage dit d’usine est réalisé à la main par des personnes rompues à cet art sur les séries de couteaux distribués par Chroma France.

 
Utiliser une pierre éponyme aux couteaux est toujours un bon choix
© – Chroma France

Un mot sur l’aiguisage correctif :
Lorsque les couteaux sont complètement émoussés ou légèrement ébréchés (cela ne devrait pas arriver avec un couteau japonais entretenu et employé comme il se doit), un grain plus épais de #200 à #400 s’impose, c’est la raison pour laquelle les Japonais ont lancé des pierres combinées 240/1000 ou 400/1000. Sachez que les gros grains rognent plus de matière. Nous préférons les 1000/3000 en entretien préventif qui affileront votre lame sans en modifier à la longue la forme.

 

A propos des pierres chinoises.

Nous avons analysé de nombreuses pierres, force est de reconnaître que comme pour les couteaux, les qualités diffèrent sensiblement. Nous ne cédons pas au dédain habituel pour les produits de Chine (les Chinois savent fabriquer d’après un cahier des charges très strict si on y met le prix), mais au microscope on note quand même des différences notables entre pierre chinoise et japonaise. La matière première est généralement la même mais influent aussi d’autres éléments, comme les agents liants. Ceux-ci jouent sur l’agglomération des grains. A l’usage les pierres chinoises fabriquées avec un mauvais liant s’usent plus vite. On parle aussi parfois de dureté de la pierre pour évoquer ce phénomène de rapidité d’usure. Si l’usure prématurée est une chose, la qualité de l’aiguisage s’en ressent aussi. A granulométrie égale, une pierre qui laisse ses grains se désolidariser sous l’effet du frottement de l’acier ne produira pas un bon résultat. Elles peuvent donc constituer une porte d’entrée pour se faire la main mais à la longue il faudra en changer, alors que la pierre japonaise est un investissement à long terme. Une recommandation qu’on peut faire, c’est de vérifier la concordance d’origine des produits lorsqu’il s’agit d’aiguiser une marque réputée car les pierres ont été intégrées au processus d’élaboration des couteaux. Là où cela se complique, c’est que les Japonais eux-mêmes mélangent les genres, utilisant parfois la Chine comme base arrière. C’est compréhensible. Ce qui l’est moins, c’est qu’ils ne l’indiquent pas. Un repère : vu le niveau du yen on peut se faire une idée comment distinguer une pierre japonaise d’une chinoise : par le prix. En-dessous de 50 €, elle n’est sans doute pas produite au Japon et/ou présentera des dimensions réduites expliquant le faible coût.

Un exemple, il est courant de trouver des pierres 1000/3000 commercialisées sur Internet à 30~40€ qui, sur le papier, peuvent s’apparenter à la pierre P35 de Chroma. A l’usage on se rend compte que des écarts existent. Entre autres :

 – elles sont près de 30% moins volumineuses : 175 x 55 x 25mm contre 182 x 62 x 30mm pour la P35. C’est autant de matière première et de durée de vie en moins. Certaines sont décrites par le fabricant lui-même en ces termes “for home use“, ce qui signifie qu’elle est adaptée à un usage peu intensif, pour un couteau à usage domestique ce qui pré-suppose en langage de fabricant, d’entrée de gamme. La P35 en comparaison est calibrée pour les lames possédant les meilleurs aciers (jusqu’à 1,2% de carbone ~ 63°HRC).
– certaines ne sont adaptées qu’à l’aiguisage d’outil, dixit le fabricant “this type is suitable for sharpening a craftman’s tools“, mais en France ce n’est pas repris.

Nous vous recommandons de vous méfier de pierres à bas prix et en règle générale d’autres marques non calibrées pour l’affilage de nos couteaux. Les informations données par le fabricant et énoncées ci-dessus ne sont que très rarement (voir jamais), reportées par les revendeurs et certains trichent sur la granulométrie.

Pour aller plus loin et choisir la bonne pierre pour vos couteaux vous pouvez lire notre premier article sur le sujet et consulter notre tableau de choix des pierres.